Les ordonnances et la réforme du code du travail

Avant les élections présidentielles, Emmanuel Macron avait annoncé ses orientations par rapport au code du travail et son intention de revenir par ordonnances en début de mandat sur la loi El Khomri d’août 2016.
Rappelons d’abord que le recours aux ordonnances est prévu par l'article 38 de la Constitution. Le Parlement vote une loi d'habilitation, qui précise sur quels sujets et pendant quelle période le gouvernement peut prendre des ordonnances. Celles-ci sont adoptées en Conseil des ministres, après avis consultatif du Conseil d'Etat, et signées par le président de la République. Une ordonnance entre en vigueur dès sa publication au Journal officiel, mais elle doit être ratifiée par le Parlement, faute de quoi la loi devient caduque. Le Parlement est donc obligatoirement consulté au début et à la fin de la procédure, mais est de fait écarté des débats sur le contenu de la loi, ce que nombre de députés déplorent, tout en conservant un droit de contrôle in fine.


Le recours aux ordonnances a déjà été utilisé à de nombreuses reprises. La Sécurité Sociale a été créée par ordonnance le 19 octobre 1945. En 1982, Pierre Mauroy s'en est servi pour instituer les 39 heures, la 5ème semaine de congés payés et la retraite à 60 ans. Plus récemment, en mai 2013, François Hollande avait eu recours aux ordonnances pour légiférer sur le  logement.
Les 4 ordonnances de septembre 2017 visant à réformer le droit du travail sont des textes très techniques et de fait difficiles à aborder. Elles viennent d’être validées par le Parlement et sont donc définitives mais vont devoir être complétées par de nombreux décrets d’application. Elles modifient assez profondément le droit du travail, il est impossible d’en rendre pleinement compte en quelques lignes, mais il est intéressant d’en souligner certains points parmi les plus significatifs. Les ordonnances sont au nombre de 4 et concernent le dialogue social, la négociation collective, le licenciement et les risques professionnels :

 


-    L’organisation du dialogue social et économique, et la représentation du personnel.
Les Institutions représentatives du personnel IRP [il s’agit des délégués du personnel DP, du comité d’entreprise CE et du comité d’hygiène et sécurité et des conditions de travail CHSCT - sauf dans le cas particulier des Délégations uniques du personnel DUP que les employeurs pouvaient déjà mettre en place dans les entreprises de 50 à 299 salariés] seront désormais fusionnées au sein d’une entité unique mise en place au niveau des établissements. Cette entité unique sera obligatoire au-delà de 11 salariés et disposera de moyens spécifiques de fonctionnement au-delà de 50 salariés. Le nombre d’élus et le nombre d’heures de délégation, qui conditionne véritablement la capacité d’action des syndicats de salariés, sera fixé par un décret en conseil d’Etat, d’où l’inquiétude des organisations syndicales.



-    La négociation collective
Les branches sont confortées dans leur rôle de régulation, ainsi que la place réservée aux accords d’entreprise pour coller aux spécificités locales. Ces derniers dépendent largement de la capacité à négocier au sein des entreprises donc de l’organisation du dialogue social. Les ordonnances prévoient des dispositifs ciblés selon la taille des entreprises. Ainsi la négociation d’accords directs avec les employés sans les syndicats est rendue possible dans les entreprises de moins de 50 salariés ainsi que la consultation directe des salariés à la demande de la direction dans les entreprises de moins de 20 salariés -ce qui peut priver les salariés concernés des compétences, du soutien et de l’expertise des syndicats, et renforce la prise de décision unilatérale des employeurs-.



-    Les relations de travail et le licenciement
Cette ordonnance impose une « barèmisation » des indemnités prud’hommales c’est-à-dire un plafonnement des dommages et intérêts sauf dans certains cas de harcèlement par exemple, avec en contrepartie l’augmentation du niveau des indemnités légales de licenciement, et elle réduit les délais de recours des salariés à 12 mois. Les modalités du licenciement économiques sont modifiées avec l’instauration du « plan de départ volontaire » (rupture du contrat de travail d’un commun accord dans le cadre d’accords collectifs, en amont ou complément d’un plan de sauvegarde de l’emploi -PSE-). Pour les entreprises multinationales le périmètre d’appréciation des justifications économiques d’un PSE est ramené à la France, ce qui peut donner lieu à certaines malversations.
Par ailleurs la mise en place d’un code du travail numérique est prévue à l’horizon 2020 ainsi que la nécessité d’un accord préalable d’encadrement pour la mise en place du télétravail.



-    Enfin la prise en compte des risques professionnels, à travers le compte professionnel de prévention, est renvoyée à de nombreux décrets d’application à venir et à la négociation d’entreprise pour définir les modalités de la prévention et les facteurs de risque.

Ces ordonnances couvrent donc un champ très vaste.
Malgré un certain nombre d’avancées, elles ne donnent pas à ce jour de garantie de moyens aux élus et aux organisations syndicales pour exercer leurs missions, elles renforcent le pouvoir des employeurs dans les petites entreprises, et elles facilitent le licenciement. Aux yeux de certains syndicats, elles apparaissent aussi comme une occasion manquée de consolider la représentation des salariés au sein des conseils d’administration.
Mais pour autant faisons attention à certaines contre-vérités : ces ordonnances ne sont pas la fin du code du travail ni un coup d’Etat social comme certains le proclament. Certains interlocuteurs, politiques, syndicaux, patronaux, gouvernementaux ont préféré leurs postures traditionnelles à la négociation, à la proposition et à l’obtention de concessions.
Il reste en particulier à négocier de nombreux décrets d’application.
Enfin, ni le Compte personnel d’activité, ni l’accès à la formation professionnelle, ni l’assurance chômage, ni l’accompagnement des chômeurs n’ont encore été abordés. Le gouvernement assure qu’après la flexibilité viendra la sécurité, il lui reste maintenant à en faire la preuve rapidement.

Ce texte est la version intégrale reçue par l'Action sévrienne. Nous avons été obligés de le réduire pour la version papier. Nous avons malgré tout décidé d'en proposer la version intégrale sur le site Web. Pour retrouver la version papier en page 3, cliquez ici

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